Comment les diabétiques peuvent affronter le Ramadhan



Les remaniements biologiques nécessaires à l’adaptation au jeûne du Ramadhan, les aspects psychologiques – les  risques du jeûne – les  précautions et les conseils de prise en charge.

Beaucoup de malades et de praticiens, qui ignorent le risque du jeûne de Ramadhan chez les diabétiques, ne font pas l’effort de le réduire  ou l’amplifient abusivement. Le jeûne de Ramadhan s’accompagne d’un changement du style de vie et du mode alimentaire habituels, avec une modification de l’horaire des repas, un temps de sommeil plus court, souvent entrecoupé, et dans ce cas il n’est pas réparateur, parfois des horaires de sommeil inversés et une activité environnementale plutôt nocturne.
Ces modifications du mode de vie et de l’alimentation, qui s’effectuent du jour au lendemain, sans préparation préalable, induisent une variation des  rythmes biologiques (ou chronobiologie) qui régissent et coordonnent les fonctionnements internes et les différents métabolismes au sein de notre organisme.
Les modifications hormonales et métaboliques se font vers une tendance à la baisse du taux de sucre dans le sang (glycémie), une libération des réserves énergétiques par dégradation des lipides, une libération de l’acide urique (métabolisme des purines), accompagnées d’une perte en eau, perceptible même en dehors des grandes chaleurs, et qui est fortement majorée en période estivale. Quant au diabète, il se caractérise par une sécrétion insuffisante d’insuline ou une entrave à son action.
La seule hormone chargée d’abaisser la glycémie, l’insuline, sécrétée par le pancréas est très fortement réduite dans le diabète de type1, elle est en grande partie conservée dans le diabète de type 2, mais elle est déversée de façon asynchrone (non corrélée, non adaptée) par rapport aux besoins et au taux de glycémie, et aussi décalée dans le temps, alors que le «glucagon» hormone hyperglycémiante est sécrétée dans le diabète de type 2 en excès.
La régulation permettant normalement une adaptation aux besoins, au jeûne court ou long, aux variations d’apports alimentaires, à l’effort physique… régulation possible grâce à un rapport adéquat de ces deux hormones (insuline et glucagon), est, chez les diabétiques, perturbée, il en résulte une hyperglycémie qui devient chronique, elle est responsable avec le temps d’anomalies de nombreuses structures et métabolismes, essentiellement des métabolismes glucidiques et lipidiques, qui seront à l’origine, si aucune mesure thérapeutique n’est prise, de complications aiguës ou chroniques et d’altérations vasculaires.
Les changements métaboliques et hormonaux au cours du Ramadhan s’effectuent en trois phases :
La 1re phase dure de 5 à 7 jours, c’est la phase d’adaptation, elle est caractérisée par une sensation de faim, une légère fatigue, une baisse modérée de la vigilance et des performances intellectuelles, tous ces signes s’atténuent rapidement.
La 2e phase dure de 20 à 25 jours, jusqu’à la fin du jeûne, c’est la phase d’équilibre et de la stabilisation grâce à une adaptation hormonale, permettant ainsi une mobilisation des graisses pour les besoins énergétiques. Ainsi, les symptômes précédents s’estompent et, en cas de respect d’une alimentation équilibrée et saine, une légère perte de poids est observée.
La 3e phase, à l’Aïd, c’est le nouveau déséquilibre à la rupture du jeûne et au retour à l’alimentation habituelle – rupture du jeûne qui est assez brutale –, elle dure de 5 à 7 jours, induit un nouveau remaniement hormonal et métabolique pour une réadaptation à la nouvelle situation. Si une diététique adéquate est respectée au cours du jeûne qui a précédé, ce nouveau déséquilibre, suivi d’une réadaptation se feront sans  gravité, par contre en cas de déséquilibre alimentaire (notamment par excès de sucre et de graisse) ou si une autre pathologie s’est greffée pendant cette période, de grands bouleversements s’opèrent, même chez les sujets non diabétiques, avec une plus grande sensibilité chez le patient diabétique, d’où l’altération de l’état de santé.
De nombreux cas de diabète méconnus sont d’ailleurs révélés à cette période... Les risques du jeûne chez le diabétique sont multiples, ils nous incitent à la prudence :
a/ un déséquilibre métabolique, notamment de la glycémie, avec une hyperglycémie, surtout s’il n’y a pas eu d’efforts pour la stabiliser dans les semaines qui ont précédé le jeûne, ceci préférentiellement chez le diabétique de type 2 chez qui le glucagon (hormone élevant le taux de glucose) est d’emblée prépondérant.
b/ Une baisse du taux de glucose dans le sang donc des hypoglycémies, c’est fréquemment le cas du diabétique de
type 1 qui est sous injection d’insuline, où l’ajustement du traitement par insuline est très difficile, car, le lien est direct avec l’apport alimentaire afin d’assurer l’équilibre glycémique. L’hypoglycémie peut être par ailleurs liée soit à une erreur thérapeutique avec mauvais ajustement chez le diabétique de type 2, soit à une alimentation insuffisante et mal répartie (régime sévère), un exercice physique excessif ou une journée de jeûne trop longue, c’est le cas du jeûne en été cette année.
c/ Une cétose, c’est-à-dire une dégradation excessive des graisses qui peut aboutir à une intoxication par leurs produits de dégradation, voire mener au coma acidosique si aucune mesure thérapeutique n’est entreprise rapidement,
d/ La déshydratation lorsqu’elle s’intensifie peut évoluer vers le coma hyperosmolaire, notamment lors des grandes chaleurs, surtout chez les personnes âgées qui ont perdu la perception de la soif et oublient de boire.
e/ L’exacerbation d’une maladie intercurrente, passée inaperçue.
f/ A l’Aïd, les désordres peuvent être importants, notamment en cas d’écarts alimentaires importants ou d’accumulation d’erreurs pendant la période de jeûne qui a précédé.
L’éducation thérapeutique, que nous avons appliquée à petits pas depuis une vingtaine d’années, puisque nous l’avons intensifiée depuis une décennie en diabétologie, nous a permis de réduire très fortement les urgences métaboliques qui sont en milieu spécialisé devenues très rares, de même que les hospitalisations pendant le mois de Ramadhan, alors que ce mois était antérieurement reconnu comme celui des urgences majeures. En revanche,  nous observons une multiplication des consultations avant et en début de mois de jeûne pour avis, ou pour une adaptation thérapeutique.
C’est dire que les efforts et l’information sanitaire bien conduits sont toujours couronnés de résultats positifs. Tous les diabétiques n’ont pas le même risque pendant le jeûne de Ramadhan, pour certains le risque est grand et supérieur au bénéfice, il ne doit pas leur être permis de jeûner, pour d’autres, le risque est modéré, ils nécessitent beaucoup de précautions avec une surveillance étroite avant et pendant le jeûne. Enfin un troisième groupe se démarque avec un risque minime, le jeûne est possible évidemment, mais sous contrôle médical. C’est pourquoi, ce qui suit ne sera pas une «ordonnance», mais des orientations générales et les grandes lignes de conduite, afin d’éviter les erreurs graves susceptibles de mener à une décompensation. J’invite donc les patients à se rapprocher du médecin traitant, pour une consultation en vue d’une évaluation  complète – un réajustement thérapeutique – et les conseils qui s’imposent pour chaque cas.
Dans quelles situations le diabétique ne peut pas jeûner :
1- Le cas du diabète de type 1, où l’injection d’insuline est strictement nécessaire entre le fedjr et le f’tour (en remplacement de sa propre sécrétion qui est défaillante), or il existe un lien étroit entre l’injection d’insuline et la ration de glucides ingérée dans le même laps de temps, il y a un équilibre qui doit être recherché entre la dose d’insuline et la quantité (et la qualité) de glucides consommés afin d’éviter autant la baisse (hypo) que l’élévation (hyper) de la glycémie.
2- Le diabétique très déséquilibré dans les jours ou semaines précédant le jeûne, ou présentant de nombreuses hypoglycémies, voire une instabilité passant de l’hypo à l’hyperglycémie, la recherche des causes du déséquilibre et la stabilisation métabolique nécessitant parfois deux à trois semaines.
3- Les états décompensés ayant présenté récemment un coma acidocétosique ou hyperosmolaire, l’organisme en cours d’adaptation ne supportera pas de nouvelles perturbations aussi complexes.
4- Le diabète compliqué nécessitant un strict contrôle, mais aussi ceux ayant une association de plusieurs traitements en rapport avec la présence de complications ou de pathologies associées, posant en plus du risque d’aggravation d’une des complications, le problème quant à l’horaire des prises médicamenteuses qui sont nombreuses.
5- La  femme enceinte ou allaitant.
6- Le sujet âgé vivant seul, chez qui le risque d’hypoglycémie et de déshydratation reste important.
Quels diabétiques sont autorisés à jeûner ?
a/ Le diabétique de type 2 équilibré par la diététique et l’activité physique sans médication associée, dans ces cas il est même noté une amélioration de l’état général et de l’équilibre métabolique et glycémique, l’amélioration  persiste jusqu’à la fin du jeûne.
b/ Le diabétique de type 2 non compliqué sous thérapie orale ou sous une seule injection d’insuline dite en «bed-time» (une seule prise le soir) associée ou non aux comprimés et stabilisé dans les semaines précédant le jeûne.
Les précautions à prendre pendant le jeûne de Ramadhan et les conseils de prise en charge :
1- augmenter la quantité de boissons, en prenant soin de fractionner sa prise tout au long de la soirée (boire d’un trait, surtout à l’heure de rupture du jeûne est incommodant et stoppe l’appétit), ne pas omettre de boire avant le s’hour, afin d’assurer une hydratation correcte pour la journée à venir, l’eau plate sera privilégiée, les soupes sont conseillées, en été elles peuvent être prises fraîches selon les goûts, éviter dans tous les cas les soupes très chaudes qui font transpirer – les tisanes (verveine, menthe au citron éventuellement…), par contre ne pas exagérer la consommation de café qui est diurétique (et même de thé bien que ce dernier désaltère) – les jus «nature» de citron, d’orange, de pamplemousse ou autre selon les goûts, peuvent être consommés sans exagération, sans sucre ajouté, un verre moyen deux à trois fois par semaine.
2- Une alimentation équilibrée doit apporter des légumes, des protéines, des graisses, des vitamines et oligoéléments à chaque repas, ou au minimum à deux des repas cités.
Concernant les protéines, il n’est pas nécessaire d’en consommer une grande quantité, mais que l’apport soit régulier, elles sont contenues dans les viandes, le poisson, les œufs, le lait, le fromage et les légumes secs, ces derniers peuvent servir à agrémenter une salade en été.
3- La répartition des repas sera comme suit:
*Le f’tour à l’heure de rupture du jeûne,
*le dîner de 3 heures à 3 heures et demie plus tard,
*le s’hour qui doit être de préférence retardé jusqu’au dernier moment, c’est-à-dire une demi-heure à trois-quarts  d’heure avant le fedjr. Ceci permet une meilleure tolérance du jeûne (ce qui est vivement recommandé).
4- Le lait et produits laitiers apportent des liquides, des protéines, des graisses et une quantité appréciable de calcium, choisir les fromages peu gras et les yaourts  nature.
5- La consommation d’un à deux fruits par jour permet un apport en fibres très intéressantes pour la digestion et l’absorption des glucides qu’elles ralentissent de façon bénéfique, un apport non négligeable d’oligoéléments nécessaires à un bon équilibre métabolique, et l’apport de vitamines indispensables à une meilleure assimilation de l’alimentation.
6- Ne pas abuser de fritures, habituellement fréquentes, voire quotidiennes, pendant le jeûne de Ramadhan, nous les conseillons une à deux fois par semaine, le «bourek» traditionnel sera préférentiellement cuit au four. Quant aux graisses, celles végétales sont recommandées, assaisonner d’huile d’olive par exemple.
Notre exposé n’est pas un cours de diététique, nous ne nous étalerons pas davantage, nous précisons que les conseils sont valables pour les non-diabétiques.
Réguler et gérer la rupture du jeûne 
L’Aïd est une période difficile à gérer du fait des tentations pour les sucreries, il y a lieu de la réguler par l’introduction progressive de l’alimentation habituelle (antérieure au jeûne), maintenir le s’hour pendant 2 à 3 jours afin d’assurer une réadaptation plus douce. Quant aux sucreries, goûter est possible sans abus, puis les éliminer et les brûler par une activité physique suffisante (une belle marche pour la visite des parents et amis par exemple). La surveillance glycémique est nécessaire, par le patient lui-même pour laquelle il doit recevoir une éducation, le non-jeûneur maintient les modalités habituelles, le jeûneur doit vérifier sa glycémie au départ les premiers jours à 4 horaires, puis réduire à deux dès l’obtention de valeurs glycémiques satisfaisantes, voire en cas de stabilité glycémique, poursuivre avec trois à quatre points glycémiques un jour sur deux, les horaires recommandés sont : avant le s’hour – vers 17-18h – immédiatement avant le f’tour – et deux heures après le f’tour. Pour les traitements oraux (comprimés), il est fréquent de réduire la dose de un quart  à un tiers, notamment pour les sulfamides, de remplacer certaines molécules par d’autres mieux adaptées au jeûne, seul le médecin traitant est en mesure d’évaluer pour son patient le traitement qui convient le mieux.
Quelques exemples d’agencements de mets :
F’tour : 1 à 2 dattes, un verre de lait ou d’eau, chorba, makouda ou bourek.
Se désaltérer – glucides naturels (et vitamines) – protéines – quantité modérée de graisses.
Dîner : Tadjine de viande ou de légumes, une salade variée.        
En soirée
S’hour : glucides, fibres dans les légumes ou les herbes, protéines, produits laitiers, eau pour éviter toute déshydratation, fruits juteux.
 
Pr Fawzia Sekkal : chef de service de diabétologie, CHU Mohamed Lamine Debaghine Bab el Oued, Alger.

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