LE PASSAGE À L’INSULINOTHÉRAPIE DU DIABÉTIQUE DE TYPE 2


Cette stratégie thérapeutique souffre encore d’inertie. Elle ne doit pourtant pas être retardée car l’hyperglycémie chronique est responsable de l’apparition des complications du diabète. Le schéma choisi doit être adapté au profil glycémique de chaque patient.
Le diabète de type 2 est une maladie chronique qui expose à des complications chroniques coûteuses et sa prévalence croissante en fait un véritable problème de santé publique. L’apparition de ces complications est favorisée par l’hyperglycémie mais aussi par l’hypertension artérielle et les désordres lipidiques souvent associés. L’hyperglycémie échappe progressivement à des thérapeutiques orales multiples, ce qui amène à la prescription de l’insuline. La mise en place d’une insulinothérapie représente un carrefour dans l’évolution de la maladie autant pour le patient que pour le médecin.

QUEL EST LE RATIONNEL DE L’INSULINOTHERAPIE ?

La physiopathologie du diabète de type 2 est marquée par une insulinorésistance au niveau des tissus périphériques et du foie et une défaillance progressive de l’insulinosécrétion. Ces désordres provoquent un déséquilibre entre la production hépatique du glucose qui est accrue et une diminution de son utilisation au niveau des tissus périphériques, ce qui conduit à l’hyperglycémie. Compte tenu de ces mécanismes, il est logique d’utiliser des médicaments qui améliorent l’insulinosensibilité, sans oublier que la perte de poids représente le meilleur moyen de lutte contre l’insulinorésistance et des médicaments insulinosécrétagogues qui stimulent la sécrétion de l’insuline et ainsi freinent la production hépatique de glucose et stimulent son utilisation. A ces deux grands axes thérapeutiques se rajoute un troisième qui agit en ralentissant la digestion des glucides alimentaires, les inhibiteurs des alpha-glucosidases.

-› Si au début de la maladie l’insulinorésistance prédomine, dans les phases avancées du diabète l’insulinopénie devient plus importante ce qui impose une adaptation du traitement, car l’objectif est bien de s’approcher de la normoglycémie pour éviter l’apparition des complications chroniques. De plus, il se produit un échappement progressif du contrôle glycémique avec l’évolution du diabète, donnant lieu à une escalade thérapeutique.

-› Si les recommandations françaises (1) introduisaient l’insuline à partir d’un seuil d’HbA1c de 8 % voire 7 % dès lors que les antidiabétiques oraux à des doses maximales avaient épuisé leurs effets, les recommandations internationales (2) mettent en place l’insuline de façon plus précoce à partir d’un taux d’HbA1c de 7 %, en association à la metformine. Cette pratique ne correspond pas à la réalité française et même si le principe de précaution doit être prioritaire dans le choix thérapeutique, le fait de ne pas vouloir bénéficier des avantages des nouvelles classes médicamenteuses semble ignorer les essais thérapeutiques réalisés avec ces nouvelles molécules. En outre, les gliptines ont un effet neutre au plan pondéral et pour la sitagliptine, l’association avec l’insuline est possible. Quant aux analogues du GLP-1, leur place se trouve juste avant l’insuline, en particulier chez un patient en excès de poids et qui grossit. Ces molécules permettent en moyenne une baisse d’HbA1c de plus de 1 % et une perte de poids de 2-3 kg en moyenne (3). Par contre la mise à l’insuline ne doit pas être repoussée lorsqu’il existe des manifestations d’insulinopénie.

-› Si l’insuline représente la dernière étape dans la thérapeutique du diabète de type 2, il ne faut pas oublier son indication de façon transitoire lors de certaines situations aiguës comme le syndrome coronarien aigu, les infections sévères, des interventions chirurgicales, une corticothérapie prolongée et lorsqu’il existe une pathologie qui contre-indique les antidiabétiques oraux : l’insuffisance hépatique et l’insuffisance rénale.

MODALITES PRATIQUES DE L’INITIATION DE L’INSULINOTHERAPIE

Elle devrait être instaurée dès lors qu’un déséquilibre glycémique persiste au-delà de trois à six mois sous un traitement oral maximal. Cependant, nous assistons assez souvent à la poursuite du même traitement sans raison précise, à une « inertie thérapeutique ». On évoque le refus du patient, un régime non suivi, l’inertie du médecin, et plus probable la combinaison de tous ces facteurs…

-› Certes, la mise en place d’une insulinothérapie représente un tournant dans la vie du diabétique de type 2, mais il ne faut pas oublier que la « mémoire glycémique » a été démontrée par l’analyse effectuée au cours des 10 années qui ont suivi l’étude UKPDS et qu’un bon équilibre glycémique appliqué de façon précoce laissera persister un bénéfice même des années plus tard (4). Le refus du patient est lié surtout à la peur et à des représentations de chacun par rapport à l’insuline et à la perception d’aggravation de la maladie. C’est pour cette raison que la discussion concernant la probabilité d’un traitement par insuline doit être abordée le plus tôt possible pour éviter que ce traitement soit perçu comme une fatalité. L’étude européenne PANORAMA, réalisée dans 9 pays et qui a inclus 5817 patients âgés en moyenne de 65,9 ans, a montré qu’un peu plus d’un tiers des patients seulement (39,6 %) avait une HbA1c < 6,5 % et que la résistance à l’intensification du traitement venait apparemment des patients (5). En France, l’étude ENTRED (« Échantillon national témoin représentatif des personnes diabétiques ») réalisée sur la période 2007-2010 a montré une amélioration de l’équilibre glycémique (HbA1c médiane : 6,9 %, - 0,3 %), mais que 41 % des diabétiques avaient encore un contrôle glycémique insuffisant (HbA1c › 7 %) et 15 % avaient un taux d’HbA1c au-dessus de 8 %, et cela en dépit d’une augmentation de l’insulinothérapie de deux points par rapport à la situation décrite auparavant (6). Une autre étude rétrospective réalisée en médecine générale a analysé les pratiques d’intensification thérapeutique entre 2008 et 2009 chez les diabétiques de type 2 (7). Cette étude a analysé 17493 patients. Parmi eux, 3118 (18 %) nécessitaient une intensification thérapeutique, 39 % en ont bénéficié dans les 6 mois après un deuxième dosage d’HbA1c et 59 % à 12 mois. La décision d’intensifier le traitement était plus probable si le patient était jeune ou si son niveau d’HbA1c au premier dosage disponible était élevé (jusqu'à 9 %). Toutes ces données montrent que malgré les progrès réalisés dans la prise en charge du diabète il existe encore une inertie thérapeutique, préjudiciable au patient, car l’étude ENTRED comme d’autres études ont mis en évidence une augmentation des complications chroniques liées au diabète.

-› Quelle insuline ? Lors de l’instauration d’une insulinothérapie, se posent le problème du choix du type d’insuline à initier et la question de la dose. On dispose de plusieurs types d’insuline (tableau1). Le choix sera fait en fonction du niveau de l’HbA1c :

- si l’HbA1c est › 8 % sous antidiabétiques oraux à doses maximales, c’est hyperglycémie à jeun qui est prépondérante par rapport à la glycémie postprandiale ; il faudra alors commencer par une insuline intermédiaire (NPH) ou un analogue d’insuline lent, glargine ou detemir (schéma basal) ;
- si l’HbA1c est entre 7 et 8 % sous traitement oral maximal et mesures hygiéno-diététiques bien conduites, c’est plus la glycémie postprandiale, surtout celle du matin, qui est en cause, ce qui indique plutôt un analogue d’insuline rapide au moment des repas (schéma bolus ou prandial).

-› D’après les études ayant analysé les deux types de schémas - basal et bolus-, la différence en termes de baisse de l’HbA1c ne semble pas significative. En revanche, le risque d’hypoglycémie et la prise de poids seraient plus importants sous schéma bolus (8). Donc il est préférable de commencer avec une seule injection d’une insuline lente, d’autant que l’acceptation pourra être meilleure qu’avec trois injections.

-› Pour l’analogue lent la dose de départ est de l’ordre de 0,2U/kg/24h à injecter de préférence au coucher ou au dîner, pour avoir un maximum d’action en fin de nuit et début de matinée au moment du phénomène de l’aube et de l’aube étendue qui se traduit par une remontée glycémique en fin de nuit et un pic glycémique matinal qui apparaît après le petit-déjeuner et se maintient quasiment toute la matinée (9). La dose d’insuline doit être titrée tous les 2-3 jours afin d’obtenir une glycémie à jeun entre 0,80 et 1,20 g/l et de ramener l’HbA1c au-dessous de 7 %.

-› Avec un analogue de type basal, le schéma le plus utilisé est le schéma dit « bed-time » (au coucher). L’insuline intermédiaire NPH est moins utilisée, car elle expose à plus d’hypoglycémies que les analogues lents.

-› L’insuline peut être associée :
- à la metformine : l’ajout d’insuline permet une baisse supplémentaire de l’HbA1c de 1,5 %. Cette association à la metformine permet de recourir à des doses d’insuline moins élevées (- 30 %) et réduit la prise de poids souvent observée sous insuline (10) ;
- aux insulinosécréteurs comme les sulfamides hypoglycémiants ou les gliptines, mais avec une efficacité différente (diminution de 1-1,5 % d’HbA1c (11) pour les patients sous sulfamides et 0,5 % pour les patients sous gliptines (12)). L’inconvénient des sulfamides est la prise de poids, ce qui n’est pas le cas pour les gliptines qui sont neutres. Quant aux analogues du GLP-1, l’association à l’insuline a été peu étudiée mais l’ajout chez des diabétiques de type 2 insulinotraités semble permettre une réduction modeste de l’HbA1c (-0,3 %) (13) avec une réduction des doses d’insuline et une perte de poids au lieu de la prise de poids habituelle lors de la mise sous insuline ;
- aux inhibiteurs des alpha-glucosidases (acarbose) : l’introduction de l’insuline réduit l’HbA1c de l’ordre de 0,5-0,6 % mais signalons que des hypoglycémies peuvent survenir surtout si l’acarbose est associé à une insuline rapide.

QUAND ET COMMENT INTENSIFIER L’INSULINOTHERAPIE ?

Si l’insulinothérapie initiée selon un schéma à une seule injection échoue, une intensification doit être envisagée, avec le rajout d’un analogue d’insuline rapide au moment des repas. Cela peut se faire en mettant en place une seule injection d’analogue rapide lors du repas le plus hyperglycémiant. Ce type de schéma est appelé basal-plus (14). La dose d’analogue rapide doit être titrée progressivement, en fonction de la glycémie postprandiale afin d’obtenir une glycémie 2h après le repas inférieure à 1,50g/l. Le changement de la dose sera pratiqué tous les 2-3 jours .
Ensuite, en fonction des résultats, on pourra être amené à instituer un schéma avec quatre injections d’insuline : une basale et trois rapides, le basal-bolus.
Quant à la place des insulines Premix (Novomix30/50 ou 70, Humalog Mix25 ou 50), il existe des divergences. Les adeptes soutiennent une bonne efficacité de ce schéma avec une acceptation plus facile de deux ou trois injections de Premix, avant les repas, comme l’étude observationnelle IMPROVE l’a démontré, sans induire de risque notable d’hypoglycémie et ni de prise de poids significative (15). Les détracteurs soulignent l’importance d’une intensification plutôt par des insulines rapides que par les insulines Premix, car les doses sont plus faciles à adapter qu’avec les mélanges fixes.

INCONVENIENTS ET LIMITES DE L’INSULINOTHERAPIE

La prise de poids sous insuline représente un des obstacles à sa mise en place, car 90 % des patients diabétiques de type 2 sont en surpoids ou obèses. Les études montrent que pour chaque baisse de 1 % de l’HbA1c le poids augmente de 2 kg (16). Il est préférable de ne pas dépasser une dose de 0,5U/kg de poids/jour car au-delà de cette dose l’efficacité de l’insuline diminue et en plus, l’insuline exprime une action anti-lipolytique et lipogénique qui aggrave la prise de poids. L’insulinothérapie nécessite un rappel indispensable des mesures hygiéno-diététiques pour limiter cette prise de poids.
Un autre problème qui suscite d’ailleurs une polémique est le risque carcinogène de l’insuline glargine. D’après plusieurs études, le diabète lui-même est associé à un risque accru de décès par cancer par l’intermédiaire des facteurs environnementaux et d’ordre métabolique et hormonal, surtout l’insulinorésistance. Concernant l’insuline glargine, le risque de cancer n’est pas augmenté par rapport aux autres insulines. Par contre, tout traitement qui s’accompagne d’un hyperinsulinisme qu’il soit de nature exogène ou par simulation endogène, peut faciliter la survenue des cancers chez des personnes prédisposées du fait de leur obésité ou de l’insulinorésistance. Les doses d’insuline utilisées semblent jouer un rôle dans la survenue des cancers, surtout lorsqu’elles dépassent 50 unités/jour.
Enfin, l’insuline augmente le risque d’hypoglycémie. Ce risque est moindre avec les analogues lents, mais plus important avec les analogues rapides. L’augmentation des doses doit être menée de façon progressive et les patients doivent être éduqués vis-à-vis de l’hypoglycémie. En outre les hypoglycémies doivent être évitées chez les patients âgés, ayant un diabète ancien et des complications macrovasculaires.

EN CONCLUSION

La mise en place d’une insulinothérapie marque l’évolution d’un diabétique de type 2, surtout s’il n’a pas été préparé à cette éventualité. Elle ne doit pas être retardée pour autant car l’hyperglycémie chronique est responsable de l’apparition des complications du diabète. Le schéma choisi doit être adapté au profil glycémique de chaque patient, en tenant compte de ses comorbidités et de son âge, sans employer des doses très fortes qui ne seront pas forcément bénéfiques, mais plutôt délétères au plan pondéral et carcinologique.

http://www.legeneraliste.fr/layout/Rub_FMC.cfm?espace=FMC&id_etiquette=M9&id_article=31012

 Dr Isabela Banu, Pr Paul Valensi (Service d’Endocrinologie Diabétologie Nutrition, Hôpital Jean Verdier, AP-HP, Université Paris Nord, Bondy). Correspondance : fmc@legeneraliste.fr
 
 

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